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Des ordures dans nos océans

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Article Publié 10/07/2014 Dernière modification 05/11/2021
Photo: © Rastislav Stanik
Notre planète est recouverte à hauteur de 70 % environ par la mer, et on trouve pratiquement partout des déchets à la surface des océans. Les déchets marins, les plastiques en particulier, représentent une menace non seulement pour la santé de nos océans et de nos côtes mais aussi pour notre économie et nos communautés. La plupart des déchets que l’on retrouve en mer proviennent des activités terrestres. Comment pouvons-nous arrêter le flux de déchets qui se déverse dans les mers et les océans? Le meilleur endroit pour s’attaquer au problème de la pollution marine commence sur terre.

En 2007, un groupe plutôt étrange de naufragés s'est échoué sur les plages du nord de la France. Il s'agissait de canards en plastique qui venaient d'achever un voyage extraordinaire de quinze ans, commencé en janvier 1992 lorsqu'un navire voyageant de Hong Kong vers les États-Unis avait perdu une partie de sa cargaison après une tempête. L'un des conteneurs passés par-dessus bord contenait près de 28 000 jouets dont certains se sont échoués au cours des années qui suivirent sur les côtes australiennes et la côte Est des États-Unis. D'autres ont traversé le détroit de Béring, l'océan Arctique pour s'échouer au Groenland, au Royaume-Uni ou en Nouvelle-Écosse.

Le voyage sans fin des plastiques

Ces canards en plastique ne sont pas la seule forme de déchets fabriqués par l'homme qui dérivent sur nos océans. Les déchets marins sont composés de matériaux solides fabriqués ou transformés par l'homme (plastique, verre, métal ou bois) qui finissent dans l'environnement marin d'une façon ou d'une autre.

Près de 10 millions de tonnes de déchets finissent ainsi chaque année dans les mers et les océans. Les plastiques, et plus particulièrement les déchets d'emballages en plastique comme les bouteilles et les sacs à usage unique sont, et de loin, les déchets les plus répandus dans l'environnement marin. La liste est longue: filets de pêche endommagés, cordes, serviettes hygiéniques, tampons, cotons-tiges, préservatifs, mégots de cigarettes, briquets jetables, etc.

La production de masse des plastiques a démarré dans les années 1950 puis a augmenté de manière exponentielle, passant de 1,5 million de tonnes par an à 280 millions de tonnes par an actuellement. Environ le tiers de la production actuelle se compose d'emballages jetables dont on se débarrasse en général dans l'année suivant la production.

Contrairement aux matériaux organiques, le plastique ne «disparaît» jamais dans la nature mais s'accumule dans l'environnement, dans les océans en particulier. Les rayons du soleil, l'eau salée et les vagues le fragmentent en morceaux de plus en plus petits. Une couche jetable ou une bouteille en plastique peut mettre jusqu'à 500 ans pour être fractionnée en de tels morceaux microscopiques. Tous les microplastiques ne proviennent cependant pas de ce processus de fractionnement. Certains de nos produits, comme les pâtes dentifrices, les cosmétiques et les produits de soins contiennent déjà ces microplastiques.

Les courants océaniques, couplés à l'action du vent et à la rotation de la Terre, rassemblent ces petits morceaux de plastique dont certains ne mesurent que quelques microns (un millionième de mètre) et créent d'immenses nappes dans des zones océaniques appelées «gyres». En fonction de leur taille, elles peuvent apparaître comme une «soupe plastique» transparente. Ces gyres sont fluides et peuvent changer de taille et de forme. Le plus important et le mieux étudié des gyres de la planète, le tourbillon du Pacifique Nord, rassemble environ 3,5 millions de tonnes de déchets sur une zone estimée à deux fois la taille des États-Unis. On comptabilise sur la planète cinq autres grands tourbillons qui accumulent ces microplastiques dont un dans l'océan Atlantique.

Certains de ces plastiques échouent sur les plages où ils se mélangent avec le sable, même dans les confins les plus reculés de la planète. D'autres intègrent la chaîne alimentaire.

D'où viennent ces déchets marins?

Selon certaines estimations, près de 80 % des débris retrouvés dans le milieu marin proviennent des activités terrestres de l'homme. L'origine des déchets marins n'est pas nécessairement limitée aux activités humaines du littoral. Même si les déchets sont déposés sur terre, les rivières, les inondations et le vent se chargent de les transporter vers la mer. Les activités de pêche, le transport maritime, les installations en mer comme les plateformes d'exploration pétrolière et le système d'évacuation des eaux usées alimentent le reste de ces déchets.

On peut observer certaines variations régionales concernant l'origine des déchets marins. Dans le bassin méditerranéen, la mer Baltique et la mer Noire, ce sont les activités terrestres qui génèrent la plus grande partie des déchets marins. En mer du Nord, par contre, les activités d'origine maritime font jeu égal avec les activités terrestres.

Des quantités croissantes de déchets finissent dans les océans et les mers, contaminant les écosystèmes, tuant des espèces marines et mettant la santé humaine en danger. La solution réside dans la prévention des déchets et dans une meilleure gestion des déchets sur terre.

Plus de plastique que de plancton

L'impact réel de ces déchets marins est difficile à estimer. Les déchets en mer ont deux effets négatifs majeurs sur la vie sauvage océanique: l'enchevêtrement et l'ingestion.

Des recherches menées en 2004 par Algalita, un institut de recherche océanique indépendant basé en Californie, ont permis d'observer des échantillons d'eau de mer contenant six fois plus de plastique que de plancton.

En raison de leur taille et de leur abondance, les animaux marins et les oiseaux de mer confondent ces déchets avec de la nourriture. Plus de 40 % des espèces existantes de baleines, dauphins et marsouins, toutes les espèces de tortues marines et environ 36 % des espèces d'oiseaux de mer auraient ingéré des déchets marins. Cette ingestion ne se limite pas à un ou deux individus. Elle touche des bancs de poissons entiers et des nuées d'oiseaux de mer. Ainsi, plus de 90 % des Fulmar de mer que l'on retrouve échoués en mer du Nord ont du plastique dans l'estomac.

Incapables de digérer ce plastique, les animaux ne peuvent plus se nourrir et finissent par mourir de faim. Les composés chimiques des plastiques peuvent également agir comme un poison et, selon la dose ingérée, affaiblir l'animal de façon permanente ou le tuer.

Les plastiques de plus grande taille représentent également une menace pour la vie marine. De nombreuses espèces comme les phoques, les dauphins ou les tortues de mer peuvent se prendre dans les déchets plastiques et les filets ou lignes de pêche perdues en mer. La plupart d'entre eux n'y survivent pas car ils ne peuvent plus remonter à la surface pour respirer, échapper aux prédateurs ou se nourrir.

La partie émergée de l'iceberg

Les déchets en mer constituent un problème mondial, et des données fiables sont difficiles à obtenir. Les courants et les vents déplacent les morceaux visibles de manière circulaire, les mêmes débris peuvent ainsi être comptés plusieurs fois. Par ailleurs, seule une faible proportion des déchets marins flotte à la surface des océans ou s'échoue sur les plages. Selon le Programme des Nations unies pour l'environnement (UNEP), seuls 15 % des débris marins flotteraient à la surface des océans; 15 % resteraient en suspension dans la colonne d'eau et le reste, soit 70 % des débris, se déposerait sur les fonds océaniques.

Cette partie «invisible» des déchets continue ainsi d'affecter la santé globale de l'environnement marin. On estime à environ 640 000 tonnes la quantité de matériel de pêche, perdu, abandonné ou jeté à l'échelle de la planète. Ces «filets fantômes» continuent pendant des années et des décennies d'attraper du poisson et d'autres animaux marins.

De plus, certaines des espèces ingérant le plastique finissent souvent dans nos assiettes. En consommant des fruits de mer exposés aux plastiques et aux composés chimiques qu'ils contiennent, notre propre santé est mise en danger. L'impact de ces composés sur notre santé n'est pas complètement connu.

Les communautés côtières sont les plus affectées par ce phénomène

Plus de 40 % de la population européenne vit près du littoral. En plus de leurs coûts environnementaux, les déchets marins ont également un coût socio-économique touchant principalement les communautés côtières. Un littoral propre est indispensable au tourisme balnéaire. Sur les côtes de l'Atlantique, on retrouve en moyenne près de 712 détritus pour 100 m de plage. Sans mesures concrètes, ces déchets marins s'accumulent ainsi sur les plages. Pour renforcer l'attractivité de leurs sites de baignade, nombre de municipalités et de commerces doivent par conséquent nettoyer les plages avant le début de la saison estivale.

Il n'existe pas actuellement d'estimation du coût total des déchets marins pour la société. De même, il est difficile d'estimer les pertes pour l'économie locale en termes de fréquentation touristique. Nous avons par contre des exemples en euros du coût concret de ces activités de nettoyage. Au Royaume-Uni, les collectivités locales dépensent en moyenne près de 18 millions d'euros par an pour nettoyer leurs plages.

Ces activités de nettoyage permettent de ramasser les grosses pièces de plastique et d'améliorer l'esthétique de ces zones mais qu'en est-il des morceaux microscopiques? Selon l'Organisation internationale des autorités locales pour l'écologie (KIMO), une organisation internationale rassemblant les autorités locales autour des questions de pollution marine, près de 10 % (en poids) de la matière des rivages est constituée de plastiques. En raison de leur très petite taille, il est souvent impossible de les différencier du sable.

La lutte contre les déchets en mer commence avec la prévention

Même si les déchets marins ne représentent qu'une des menaces qui pèsent sur l'environnement marin, ils deviennent extrêmement préoccupants. L'accumulation et la résistance de ces plastiques dans la nature rendent le problème plus compliqué. Les déchets marins sont un problème qui dépasse les frontières; une fois en mer, ils n'appartiennent plus à personne. C'est ce qui rend leur gestion si difficile et largement dépendante de la bonne collaboration nationale et internationale.

Certaines directives européennes ciblent les questions maritimes directement. Ainsi, la directive-cadre de l'UE «Stratégie pour le milieu marin», adoptée en 2008, établit un cadre prioritaire d'action concernant les déchets marins visant le bon état écologique de tous les milieux marins d'ici à 2020. Succédant à ces directives de l'Union européenne et à l'engagement global exprimé lors de la conférence Rio+20 sur le développement durable organisée par les Nations unies en 2012, le 7e programme d'action pour l'environnement de l'UE (2014-2020) prévoit l'établissement d'une ligne de référence et la fixation d'un objectif de réduction.

Comme pour la gestion globale des déchets, le point de départ de la lutte contre les déchets marins reste la prévention. Comment pouvons-nous empêcher les détritus d'envahir nos océans? Avons-nous vraiment besoin de sacs en plastique à chaque fois que nous faisons nos courses? Serait-il possible de concevoir certains de nos produits ou processus de production de sorte qu'ils ne puissent pas contenir ou générer de microplastiques? Oui, c'est réalisable.

Marine litter

(c) Ani Becheva / EEA Waste•smART

L'action commence sur terre

L'étape suivante consiste à agir sur terre avant que les déchets n'atteignent les océans. C'est pourquoi l'UE a adopté des politiques et des lois permettant d'améliorer la gestion des déchets, de réduire le gaspillage des emballages et d'augmenter le taux de recyclage (des plastiques en particulier), d'améliorer le traitement des eaux usées et d'utiliser plus efficacement les ressources de manière générale. Certaines directives ont également été promulguées pour freiner la pollution des navires et des ports maritimes. L'amélioration de la mise en œuvre des politiques de prévention et de réduction des déchets pourra également apporter d'énormes bénéfices.

Mais que faire des détritus affectant déjà les mers et les océans? Les déchets marins se sont accumulés en mer depuis des années. Certains ont coulé au fond des océans, d'autres dérivent autour du globe en suivant les courants. Il est presque impossible d'imaginer comment nous pourrions tout nettoyer.

Plusieurs initiatives de «pêche des déchets» sont actuellement en place, avec des navires ramassant les déchets marins — d'une manière similaire à la collecte des déchets municipaux sur terre. Ces méthodes sont malheureusement inefficaces pour les déchets de très petite taille. Le problème des microplastiques demeure donc. En outre, étant donné l'ampleur du problème et la taille de nos océans, de telles initiatives sont beaucoup trop limitées pour apporter une réelle amélioration.

On pourrait dire la même chose des activités de nettoyage sur les plages et le long des côtes. Pourtant, ces initiatives sont une bonne façon de sensibiliser le grand public et d'engager les citoyens à s'attaquer au problème des déchets marins. En fin de compte, il pourrait ne s'agir que d'une question de nombre. Le nombre de volontaires participant à ces activités s'accroissant sans cesse, nous devrions aussi être bien meilleurs au niveau de la prévention.

Marine LitterWatch

L'AEE a développé «Marine LitterWatch», qui comprend une application permettant de suivre les déchets marins sur les plages européennes. Cette application, disponible gratuitement, permet aux collectivités de nettoyage des plages de recueillir des données de façon à améliorer nos connaissances sur les déchets marins. Elle permet également aux parties intéressées de trouver des initiatives de nettoyage à proximité ou de créer leur propre communauté.

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