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Trouver le « juste » prix

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Article Publié 04/06/2012 Dernière modification 17/03/2023
Photo: © Shutterstock
De nombreux pays en développement centrent leur économie sur l’exploitation des ressources naturelles afin de sortir leur population de la pauvreté, au risque d’endommager les systèmes naturels dont ils dépendent. Les solutions à court terme compromettent souvent le bien-être à long terme des populations. Les gouvernements peuvent-ils aider les marchés à établir le « juste » prix des services que rend la nature et influencer ainsi les choix économiques? Examinons les conséquences pour le Burkina Faso de l’utilisation de l’eau dans la production du coton.

Plus d’un milliard de personnes dans le monde vivent dans une « pauvreté extrême », selon la définition de la Banque mondiale qui fixe ce seuil à un revenu inférieur à 1,25 dollar américain par jour. Bien que la proportion de la population mondiale vivant dans la pauvreté ait considérablement diminué au cours des trente dernières années, de nombreux pays (dont la plupart sont africains) ont bien du mal à progresser.

Dans ces pays, l’activité économique est souvent centrée sur les ressources naturelles, par le biais de l’agriculture, de l’exploitation forestière, de l’exploitation minière, etc. Par conséquent, les efforts en faveur de la croissance économique nécessaire pour répondre à une population en croissance rapide peuvent soumettre les écosystèmes à une pression considérable.

Bien souvent, des ressources telles que le coton sont cultivées ou extraites dans les pays en développement et exportées dans des régions plus riches comme l’Europe. Cette réalité confère une responsabilité importante aux consommateurs des pays industrialisés : ils peuvent aider le milliard de plus pauvres à passer au dessus du seuil d’extrême pauvreté, mais aussi saper leurs chances en endommageant les systèmes naturels dont ils dépendent.

« L’or blanc »

Copyright: ShutterstockAu Burkina Faso, un pays aride, enclavé et très pauvre situé le long de la frange sud du Sahara, le coton est un commerce important. Majeur, en réalité. À la suite d’une augmentation rapide de la production ces dernières années, le Burkina est devenu le premier producteur de coton d’Afrique. En 2007, cet « or blanc », comme on l’appelle dans la région, représentait 85 % des recettes d’exportation et 12 % de la production économique.

Point crucial, les gains générés par le coton sont largement dispersés. Le secteur emploie 15 à 20 % de la main-d’œuvre disponible, apportant un revenu direct à 1,5 à 2 millions de personnes. En tant que facteur clé de la croissance économique au cours des dix dernières années, il a généré des revenus d’impôt susceptibles de financer des améliorations en matière de santé et d’éducation.

Pour les habitants du Burkina, les avantages de la culture du coton sont évidents. Les coûts le sont souvent beaucoup moins.

Les concepts autour de l’eau

Les concepts d’empreinte eau et d’eau virtuelle nous aident à comprendre la quantité d’eau que nous consommons.

L’empreinte eau (ou empreinte hydrique) est le volume d’eau douce utilisé pour produire les biens et les services consommés par un individu ou une communauté ou produits par une entreprise. Elle est constituée de trois composants. La partie « empreinte eau bleue » est le volume d’eau de surface et d’eau souterraine utilisé pour produire des biens et des services. La partie « empreinte eau verte » est la quantité d’eau de pluie utilisée pour la production. La partie « empreinte eau grise » est le volume d’eau pollué par la production.

Tout produit ou service exporté revient à exporter une « eau virtuelle », celle qui a été utilisée pour produire le bien ou le service en question. Les exportations d’eau virtuelle ont lieu lorsqu’un bien ou un service est consommé hors des limites du bassin hydrographique d’où provient l’eau.

Les régions ou pays qui importent une « eau virtuelle » peuvent utiliser leurs ressources en eau à d’autres fins, ce qui peut être très utile pour les pays où l’eau est rare. Malheureusement, de nombreux pays qui exportent de l’eau virtuelle manquent en fait d’eau mais jouissent d’un climat ensoleillé adapté à la production agricole. L’exportation d’eau virtuelle se traduit donc par une pression supplémentaire sur leurs ressources en eau et entraîne souvent des coûts socio-économiques à cause du manque d’eau pour les autres activités et besoins.

Source : Water Footprint Network

Copyright: IHH Humanitarian Relief Foundation/Turkey« Âgé d’à peine 8 ans, Modachirou Inoussa aidait déjà ses parents dans les champs de coton. Le 29 juillet 2000, après avoir travaillé dur, Modachirou rentra chez lui en courant, assoiffé. En chemin, il trouva un récipient vide et l’utilisa pour prendre un peu d’eau dans un fossé et se désaltérer. Ce soir-là, il n’est pas rentré chez lui. Des villageois partis à sa recherche retrouvèrent son corps près d’une bouteille de Callisulfan, un pesticide ».

Empoisonnement à l’endosulfan en Afrique occidentale,
rapporté par PAN UK (2006)

Exporter une « eau virtuelle »

Prenons le cas de la demande qui pèse sur les ressources locales en eau, qui sont déjà limitées : Le Burkina est un pays sec. Avec des précipitations faibles, des températures élevées et une croissance rapide de la population, les pénuries d’eau sont fréquentes et parfois graves, surtout dans le Nord.

Un quart des habitants n’a pas accès à une eau potable sûre. Plus de 80 % sont des agriculteurs de subsistance qui ont besoin d’eau pour pouvoir se nourrir et se loger. Et d’après l’Organisation météorologique mondiale, la demande annuelle en ressources en eau dépasse la disponibilité de 10 à 22%.

Dans ce contexte, la forte augmentation de la production de coton au cours des dernières années paraît risquée. La culture du coton exige beaucoup d’eau pour l’irrigation pendant les mois secs. En outre, elle consomme bien plus d’eau que les autres cultures largement plantées.

Le fait d’affecter l’eau à la production du coton implique de la soustraire aux autres utilisations possibles. Et comme la plupart de la récolte est exportée, de grandes quantités d’eaux sont en fait utilisées pour satisfaire la demande de consommateurs à l’étranger. Ce processus revient à exporter une « eau virtuelle ».

La moitié du coton du Burkina est exportée en Chine où il est vendu aux filatures locales et ensuite aux ateliers de confection qui alimentent le monde entier. À la fin de la chaîne d’approvisionnement, l’achat de produits en coton revient à importer des quantités substantielles d’eau, parfois depuis des régions du monde bien plus sèches. Dans le cas du coton, une étude a révélé que 84 % de l’empreinte eau de l’Europe se situe en dehors de la région.

Pour des pays secs comme le Burkina, il est normalement préférable d’importer des produits gros consommateurs d’eau au lieu de les exporter. Car, le fait d’exporter une « eau virtuelle » peut signifier qu’il n’en reste plus assez pour les écosystèmes et les populations locales. Cela dit, le seul moyen de savoir si le Burkina a raison d’utiliser de l’eau pour cultiver du coton est de comparer la rentabilité de cet usage par rapport aux autres. Le concept d’eau virtuelle ne peut pas en lui-même indiquer comment gérer l’eau au mieux, même s’il apporte des informations très utiles sur les conséquences de nos choix de production et de consommation.

Plus de pollution, moins de forêt

La consommation d’eau n’est pas la seule inquiétude associée à la production du coton au Burkina. La culture du coton implique normalement une forte dose de pesticides. En effet, elle nécessite 16 % de la quantité de pesticides consommée dans le monde, bien qu’elle couvre seulement 3 % des terres cultivées de la planète.

Les conséquences peuvent être graves pour les populations et les écosystèmes locaux. Mais comme les personnes qui appliquent les pesticides n’en subissent pas les effets et n’en ont peut-être même pas conscience, elles n’en tiendront pas pleinement compte dans leurs prises de décision. (Il paraît donc important de sensibiliser les exploitants locaux et de les informer des dangers et effets des pesticides.)

L’eau n’est pas la seule ressource utilisée. Il y a aussi le sol. Comme presque partout, le sol burkinabè peut être utilisé de bien des façons. Le fait de l’utiliser pour produire du coton améliore-t-il vraiment le bien-être des Burkinabè?

Ce qui est bien pour les uns peut ne pas l’être pour tous

Cette question est pertinente. La zone forestière du Burkina a diminué de 18 % entre 1990 et 2010, en partie à cause de l’extension de l’agriculture, et la perte s’accélère. Le propriétaire privé d’une zone de forêt du Burkina pourra préférer cultiver du coton parce qu’il peut être plus rentable pour lui de vendre le bois (ou de l’utiliser comme carburant) et de cultiver la terre que de préserver la forêt. Mais ce n’est pas nécessairement la meilleure solution pour le Burkina, ses habitants et ses écosystèmes.

Copyright: Pawel KazmierczykLes forêts apportent aux hommes, proches comme lointains, de nombreux avantages allant bien plus loin que la valeur du bois. Elles fournissent un habitat à la biodiversité, évitent l’érosion des sols, absorbent le dioxyde de carbone, permettent de se détendre, etc. Si la société dans son ensemble décidait de la manière d’utiliser le sol, et pouvait baser sa décision sur une évaluation complète des conséquences et avantages des différentes options, elle ne choisirait probablement pas d’épuiser toutes les ressources en sol et en eau à la seule fin de produire du coton.

La différence entre bénéfices et coûts pour les individus et ceux pour la société est un problème fondamental.

Face aux questions clés (quelle quantité d’eau utiliser pour produire du coton, quelle quantité de pesticides et de sol), les agriculteurs dans le monde entier prennent leurs décisions en s’appuyant sur les coûts et les bénéfices relatifs. Mais si le cultivateur peut retirer tout le gain de la vente du coton, il n’en supporte généralement pas tous les coûts. Par exemple, souvent, le coût d’achat des pesticides ne prend pas en compte les conséquences que leur utilisation a sur la santé. Les coûts retombent donc sur d’autres personnes, y compris les générations futures.

Les problèmes apparaissent parce que, comme la plupart d’entre nous, l’agriculteur prend un grand nombre de décisions en fonction de son intérêt personnel. Cette distorsion est répercutée sur les marchés mondiaux. Les prix payés par les commerçants, les fabricants de vêtements et les consommateurs ne reflètent pas le coût et les bénéfices associés à l’utilisation des ressources et à la production des biens.

C’est un problème grave. Presque partout dans le monde, les marchés et les prix guident nos décisions. Par conséquent, si les prix nous donnent une image erronée des conséquences de la production et de la consommation, nous prendrons de mauvaises décisions. L’histoire nous montre que le concept de marché peut être très efficace pour influencer nos décisions concernant l’utilisation des ressources et la production et pour atteindre une prospérité maximale. Mais si les prix sont faux, le concept de marché échoue.

« 99 % des cultivateurs de coton du monde entier vivent dans des pays en développement. Les pesticides sont donc appliqués dans des régions où le taux d’illettrisme est élevé et où les populations sont peu informées des problèmes de sécurité, ce qui met en danger l’environnement et les vies. »

Steve Trent,
directeur de l’Environmental Justice Foundation

Lorsque les marchés échouent : corrections et contraintes

Copyright: ShutterstockQue pouvons-nous y faire? Dans une certaine mesure, les gouvernements peuvent prendre des mesures pour corriger les échecs du marché. Ils peuvent réglementer et taxer l’utilisation de l’eau et des pesticides pour que les cultivateurs en utilisent moins ou trouvent des alternatives moins nuisibles. Inversement, ils peuvent dédommager les propriétaires de forêt pour les avantages qu’elles apportent à la société aux niveaux national et international, et leur fournir ainsi une source de revenus alternative. La solution consiste à aligner les avantages des individus sur ceux de la société dans son ensemble.

Il est également important d’informer les consommateurs pour compléter les informations véhiculées par les prix. Dans de nombreux pays, on trouve de plus en plus d’étiquettes indiquant comment les produits ont été fabriqués, et des campagnes conduites par des groupes d’intérêt renforcent la sensibilisation et la compréhension de ces problèmes. Beaucoup d’entre nous accepteraient de payer plus ou de consommer moins s’ils comprenaient les conséquences de leurs choix.

Dans certains cas, les gouvernements doivent aller au-delà de la correction du marché et carrément limiter le rôle de celui-ci dans l’exploitation des ressources. Les hommes et les écosystèmes ont besoin d’eau pour survivre et prospérer. En effet, beaucoup diraient que les gens ont le droit de prétendre à une quantité d’eau suffisante pour boire, manger, se laver et vivre dans un environnement sain. Peut-être les gouvernements ont-ils alors le devoir de faire en sorte que ces besoins soient satisfaits, avant de mettre sur le marché le reste des ressources.

Au Burkina, le gouvernement et les partenaires internationaux collaborent pour tenter de garantir à tous ce besoin basique d’accès à l’eau potable. Bien que ce ne soit pas encore le cas pour un quart des habitants, la situation s’est considérablement améliorée par rapport à il y a vingt ans, quand 60 % de la population n’avait pas un tel accès.

Revoir les incitations

Des efforts sont faits dans le monde entier pour corriger et contrôler les effets du libre marché tout en continuant de tirer parti de ses nombreux avantages. Pour l’instant, toutefois, les prix du marché donnent souvent des informations erronées entraînant de mauvaises décisions de la part des producteurs et des consommateurs.

Si les marchés fonctionnaient correctement et si les prix reflétaient les conséquences et les avantages de nos actions, le Burkina produirait-il du coton?

Bien qu’on ne puisse pas en avoir la certitude, il y a fort à parier que oui. Pour un pays enclavé, très pauvre et disposant de peu de ressources comme le Burkina, il n’existe aucune voie facile vers la prospérité. La culture du coton génère au moins des gains considérables, apportant potentiellement une plateforme pour le développement économique et pour améliorer les conditions de vie.

Mais cette culture ne doit pas se poursuivre en continuant d’utiliser des techniques exigeant de grandes quantités d’eau et de pesticides. Ni en continuant de réduire les zones forestières. D’autres méthodes, comme la production de coton biologique, peuvent réduire la consommation d’eau et éliminer l’usage de pesticides. Les coûts directs de la culture du coton bio sont plus élevés (impliquant un prix plus élevé pour le consommateur), mais ils sont plus que compensés par la diminution des conséquences indirectes sur les cultivateurs et leurs communautés.

À vous de choisir

Copyright: ThinkstockLes décideurs politiques ont certainement un rôle à jouer pour aider les marchés à fonctionner correctement et faire en sorte que les prix constituent une incitation à une prise de décision durable. Mais ils ne sont pas les seuls : des citoyens informés peuvent aussi jouer leur rôle.

La présence de chaînes mondiales d’approvisionnement fait que les décisions des fabricants, des détaillants et des consommateurs européens peuvent avoir un impact important sur le bien-être de personnes vivant à l’autre bout du monde, comme au Burkina. Cet impact peut être source d’emplois et de revenus mais aussi entraîner la surexploitation de ressources en eau limitées et l’empoisonnement des populations et des écosystèmes locaux.

Au final, le consommateur a le pouvoir de décider. Tout comme les décideurs politiques peuvent guider notre mode de consommation en influençant les prix, les consommateurs peuvent faire connaître leur préférence aux producteurs en exigeant une culture durable du coton. Pensez-y la prochaine fois que vous achèterez une paire de jeans.

Informations complémentaires

• À propos des instruments fondés sur les mécanismes du marché : Les instruments fondés sur le marché pour la politique environnementale en Europe, rapport technique de l’AEE 8/2005.

• Sur la production du coton au Burkina : Kaminski, J., 2011, « Cotton Dependence in Burkina Faso : Constraints and Opportunities for Balanced Growth », dans Yes Africa Can : success stories from a dynamic continent, Banque mondiale.

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